ORNEMENT (musique)

ORNEMENT (musique)
ORNEMENT (musique)

Les ornements ont existé de tout temps et dans toutes les musiques ; ils représentent un des modes les plus riches de l’expression spontanée des sentiments qui animent un interprète. Issus de l’imagination créatrice et de la sensibilité, ils s’appliquent en surimpression au discours musical primitif. Bien qu’ils ne soient pas intégrés littéralement à la musique, ils constituent un élément très important qui permet au musicien de faire «vivre» ce qu’il interprète et de le rendre communicable. L’évolution de l’ornementation dans la musique occidentale est féconde en inventions et en changements de style. D’une certaine façon, la notion elle-même d’ornementation change profondément de sens selon les époques. Pourtant, au travers d’un champ historique mouvant, une constante se dégage: l’ornementation, envisagée dans toutes ses formes, est le caractère principal de la liberté d’interprétation de la musique. L’expression musicale est toujours liée indissolublement à la subjectivité de l’interprète, qui pour se transmettre exige précisément la liberté d’interprétation. La musique occidentale ne diffère pas sur ce plan des musiques des autres civilisations. Tels les subtils r gas indiens qui développent un thème au moyen de variations dans une atmosphère émotionnelle que la combinaison des ornements et des agréments modifie sans cesse. De même les atabas arabes qui sont de longs poèmes chantés et entrecoupés de savantes vocalises mélismatiques. En général, toutes les musiques folkloriques possèdent leurs ornements qui sont autant de moyens nécessaires à la communication de la musique elle-même.

L’ornement, que l’on appelait autrefois «agrément», est, dans son acception la plus générale, une variation que l’on ajoute à une phrase musicale donnée avec l’intention de l’embellir. Les ornements trouvent leurs origines dans l’expression musicale la plus ancienne: la musique vocale. Ils sont alors les éléments constitutifs de l’improvisation à laquelle se livrent les chanteurs dans la litanie primitive, forme à caractère sacré que l’on retrouve de nos jours dans la liturgie orthodoxe où le chant est alterné entre un soliste qui «brode» et improvise sur le schéma musical d’une psalmodie et l’assemblée qui «répond» par un refrain uniforme. L’ornementation est donc avant tout issue d’un désir de communication tout à fait instinctif dont la nature primitive est d’essence purement émotive, le souci esthétique étant une construction mentale plus tardive. D’une façon générale, l’interprétation est pénétrée d’une idéologie conférant aux musiciens la liberté de suppléer à la simplicité originale d’un schéma mélodique par des effets, des notes et des rythmes qui s’ajoutent ou se substituent au texte premier. Cet ensemble d’embellissements constitue l’ornementation.

À travers le processus de rationalisation de la théorie musicale, l’ornementation évolue selon trois phases. La plus ancienne se caractérise par une assez vaste liberté qui coïncide avec une certaine indétermination théorique; on improvise entièrement les ornements, selon son goût, sur un texte musical qui ne comporte aucune indication d’ornementation. Vient ensuite une notation abrégée des ornements: le compositeur indique par des signes spéciaux, placés aux endroits choisis, les ornements qu’il convient d’exécuter. Enfin, on finit par écrire intégralement les ornements dans la musique elle-même.

Les ornements improvisés

Au Moyen Âge, l’ornementation des chants grégoriens était d’un usage courant. Bien qu’elle nous soit peu connue, du fait de son caractère improvisé, on conserve quelques exemples qui furent exceptionnellement intégrés dans certains manuscrits. La musique est également ornée quand elle est polyphonique: par exemple, quatre voix évoluent selon des quintes parallèles doubles, les deux voix supérieures improvisant des ornements.

Dès le XIVe siècle se développe la musique instrumentale. Les premiers musiciens qui écrivent pour des instruments d’harmonie (orgue) commencent tout d’abord par adapter des pièces choisies dans le répertoire de la polyphonie vocale. Ces compositions sont pénétrées par l’ambiance et la couleur propres à cette musique vocale; l’ornementation elle-même procède par imitation des inflexions de la voix humaine. Mais on s’aperçoit vite que les sons conçus pour la voix ne s’adaptent pas toujours aux possibilités instrumentales. Une valeur longue tenue par la voix sonne bien, surtout si le chanteur s’applique à garder une bonne intonation; la même valeur longue jouée par un instrument risque fort d’être monotone. Aussi prend-on l’habitude de «colorer» la mélodie originale, et des auteurs comme Francesco Landini (1325?-1397) œuvrent dans ce domaine (fig. 1). Parallèlement à la polyphonie sacrée, les chansons profanes, elles aussi, sont interprétées très librement, et si l’on compare différentes versions d’une même pièce d’Alexandre Agricola (env. 1446-1506) ou de Gilles Binchois (env. 1400-1460), on en déduit que les mélodies étaient vraiment «interprétées», car sur un même canevas apparaissent les variations les plus spontanées, ce qui laisse entendre que chaque chanteur devait donner de ces œuvres une «lecture» personnelle. La renommée des chanteurs s’établissait d’ailleurs en grande partie sur la capacité et le talent qu’ils déployaient à bien orner la musique. Mais l’interprétation pour libre qu’elle fût n’était pas anarchique. Au XVIe siècle, on enseigne déjà la façon d’ornementer, et les musiciens disposent, au travers de traités comme le Tratado de glosas de Diego Ortiz (1553), d’une grande quantité d’exemples qui leur permettent à la fois d’adapter la polyphonie vocale à leurs instruments et de l’interpréter selon les canons courants de l’ornementation (fig. 2).

La diminution

Au XVIe siècle, le procédé d’ornementation le plus courant est celui de la diminution (anglais: divisions ; italien: passaggi ; espagnol: glosas ). Il s’agit d’un groupe de notes de courte durée exécuté dans l’intervalle de deux notes de la mélodie (fig. 3), remplissant ainsi un espace originalement uniforme par une variation mélodique. Curieusement, les compositeurs écrivent la diminution dans la musique instrumentale, tandis qu’elle doit être improvisée dans le chant. Cette dualité d’usage en fait à la fois un procédé d’écriture et une technique d’improvisation. L’ambivalence qui en résulte permet à la diminution de rester une forme souple capable de s’adapter à la musique au gré de l’interprète. Par ce procédé, les musiciens donnaient à leurs exécutions un caractère brillant et enjoué tandis qu’à la lecture ordinaire les textes ne révèlent souvent que des phrases fort simples.

Si l’emploi des diminutions est tenu pour enrichissant dans la musique instrumentale, tous les compositeurs ne partagent pas cet avis en ce qui concerne la musique vocale. Au XVIe siècle, on attachait en effet beaucoup d’importance à la clarté des textes chantés. Or les diminutions rendent presque toujours les paroles incompréhensibles. Cela explique en partie la naissance d’un courant partisan de la monodie accompagnée, en opposition au courant polyphonique traditionnel qui continue l’emploi de la diminution jusqu’au XVIIe siècle avec des compositeurs comme Michel Lambert (1610-1696) qui fait suivre ses Airs de «doubles» très diminués dont l’exécution exige une grande virtuosité.

Les notes inégales

La liberté d’interprétation que supposait l’ornementation improvisée ne s’appliquait pas seulement à la mélodie; le rythme, lui aussi, faisait l’objet d’une «interprétation». Le musicien jouissait d’une certaine latitude dans l’exécution du rythme et, sans aucun doute, personne n’aurait eu l’idée d’interpréter un texte sans y apporter d’éléments personnels.

Contrairement aux compositeurs du XIXe siècle et du début du XXe qui, cédant au courant rationaliste, exigent des interprètes une exécution extrêmement rigoureuse de leurs œuvres eu égard à l’écriture de la partition, les musiciens de la Renaissance et du Baroque conçoivent la musique comme le résultat des apports conjugués du compositeur et de l’exécutant. Il ne faut voir là, cependant, aucun laisser-aller; la latitude d’interprétation avait pour but principal la perfection de l’expression musicale: «De même qu’il y a une grande différence entre la grammaire et la déclamation, plus grande encore est la différence entre la théorie musicale et l’art de bien jouer» (François Couperin, L’Art de toucher le clavecin ). Ainsi, la coutume était d’appliquer certaines altérations rythmiques qui portaient en général sur les notes les plus brèves utilisées dans un type de mesure. De la sorte, on valorisait les unités rythmiques représentées par les valeurs immédiatement supérieures. Louys Bourgeois écrit dans Le Droit Chemin de musique (Genève, 1550): «La manière de bien chanter les demi-minimes (noires) en ces signes diminués (les signes de mesure) O|, C|, 2, C2, 2, C2 est de les chanter comme de deux en deux, demeurant quelque peu davantage sur la première que sur la seconde, comme si la première avait un point et que la seconde fût une croche comme il s’ensuit» (fig. 4). Si, par exemple, l’unité rythmique est la noire, on pointe les croches de deux en deux. Cette tradition est générale pour toute la musique ancienne et ne fut pas désavouée par les compositeurs postérieurs (jusqu’à Bach y compris). Bien entendu, il est d’usage de respecter ces règles avec prudence: «Et que l’on s’avise bien que les notes ainsi écourtées ne le soient pas trop, mais seulement un peu» (Tomás de Santa María, Arte de tañer fantasía , Valladolid, 1565). Et les auteurs précisent souvent les limites du bon goût; Tomás de Santa María nous apprend que, parmi les façons de jouer les croches, «la plus raffinée de toutes» consiste à les jouer quatre par quatre, les trois premières légèrement pressées de façon à accentuer la quatrième (mais cette pratique ne se rencontra qu’en Espagne). À l’aube du XVIIe siècle, le courant de la polyphonie s’est estompé. Vincenzo Galilei et Giulio Caccini, bientôt suivis par de nombreux compositeurs, entrent en guerre contre la forme contrapuntique et imposent le style récitatif [cf. MADRIGAL]. Les ornements sont utilisés avec modération et l’expressivité de la mélodie est recherchée autant que celle des paroles.

Désormais, les diminutions ne s’emploient plus que dans le cas d’un intervalle très long pour mettre en valeur une syllabe particulièrement importante. Les ornements, au lieu de remplir l’intervalle intégral d’une durée, se concentrent autour des notes sous forme de «groppo» ou de «trillo». On introduit dans le chant des altérations rythmiques comme le «rubato», l’«ecclamazione». Mais l’emploi de ces «affetti» reste dicté par le sentiment que suggère le texte, et sur ce point tous les théoriciens de l’époque sont unanimes.

Bien que l’ornementation ne fût pas déterminée avec beaucoup de précision, elle répondait à un style d’interprétation en accord avec les canons esthétiques du temps. Les ornements qui se fixent en de petites formules finiront par être connus de tous; il devient donc possible de les indiquer par des signes conventionnels. À la fin du XVIIe siècle, ils sont répandus dans toute l’Europe. Mais l’ornementation improvisée continue de jouer un rôle important jusqu’au XVIIIe siècle. D’ailleurs la principale qualité d’un virtuose réside dans son talent d’improvisateur. Pendant l’ère baroque, les parties de solistes des sonates en trio, des suites instrumentales et même celles de certains concerti (opus 4 et 7 de Haendel) sont souvent notées fort succinctement par leurs auteurs qui attendent de l’interprète toute l’agrémentation nécessaire.

La basse continue elle-même est un des traits les plus marquants de cette tendance. Le chiffrage harmonique auquel elle se réduit suppose, au niveau de sa réalisation, un enrichissement à la fois harmonique, mélodique et ornemental. Par exemple, le mouvement central du Troisième Concerto brandebourgeois n’est indiqué que par deux accords, ce qui explique que certains musicologues ont pensé que le mouvement manquait alors qu’il était destiné à être improvisé entièrement. Ainsi, jusqu’à la fin de l’âge baroque, la collaboration entre compositeur et interprète fut-elle essentielle. On en retrouve trace dans les cadences de concerto, qui, jusqu’à Beethoven (il fut un des premiers à écrire les cadences de ses concertos), devaient être improvisées par le soliste. C’est à partir du XVIIIe siècle que disparaît l’ornementation improvisée, à l’exception toutefois de petits agréments conventionnels comme le trille ou l’appoggiature (dans les opéras de Mozart par exemple).

Ornements notés par signes

Les ornements notés par signes prennent naissance dans l’ornementation improvisée; répondant aux critères stylistiques de chaque époque musicale, ils se cristallisent au point de se différencier en formules précises que l’on représente par des signes notés au-dessus de la portée. Ils interviennent sur certaines notes en altérant ou en variant la mélodie.

Dès le Moyen Âge, ils apparaissent dans le chant grégorien sous forme d’effets d’intonation dont la subtilité échappe à une écriture musicale en toutes notes. Les strophicus sont indiqués par une, deux (distropha ) ou trois (tristropha ) apostrophes et consistent en une sorte d’écho simple, double ou triple sur une même note. On rencontre également une variété de vibrato nommée quilisma qui s’indique par une ondulation entre deux notes ascendantes séparées par un intervalle de tierce. Les nuances de volume existent elles aussi; ainsi, une note écrite dans un caractère plus petit signifie qu’il faut étouffer cette dernière (neumes liquescents). La répétition rapide d’une note, la vinnula , est abrégée par la lettre «V»; c’est l’ancêtre du trémolo. En fait, on sait fort peu de chose sur la façon d’interpréter ces ornements, et les théoriciens du Moyen Âge reconnaissent leur difficulté d’exécution en recommandant aux chanteurs novices de ne pas les utiliser.

Dans le domaine de la musique profane (chansons, danses), les interprètes s’en tiennent surtout à l’ornementation improvisée qui, de ce fait, nous est inconnue à l’exception de la plique , sorte de note de passage qui s’indique par un trait ascendant ou descendant placé entre deux notes. La Renaissance, confirmant l’essor de la musique instrumentale, annonce un renouveau dans l’interprétation et dans l’ornementation au moyen de procédés tels que la diminution. Cette dernière est employée systématiquement, si bien qu’elle se fixe selon quelques modes précis, avec une certaine stabilité. Dans son traité Il Transilvano (1593), Girolamo Diruta décrit et réalise ces modes ornementaux en toutes notes (fig. 5).

Contrairement à la diminution, autrefois improvisée, et qui à la Renaissance est écrite, ces ornements sont désormais des formules que chaque musicien est supposé connaître. Le tremolo , qui s’apparente de loin au trille classique, est une variété de diminution développant un passage mélodique. Lorsqu’on désirait exécuter une figure analogue sur un groupe de notes en valeurs brèves le battement initial se réduisait à l’alternance de trois ou quatre notes, le tremolo devenant ainsi un tremoletto (en Espagne: quiebros et redobles ). Les cadences finales sont presque toujours ornées de groppo qui brodent autour de la note sensible (fig. 6). On rencontre aussi une variante du tremolo utilisée surtout au clavier: le mordant , qui consistait à battre rapidement la note inférieure en tenant la note écrite (fig. 7). Comme on l’a déjà signalé, l’avènement du style monodique impliqua une réduction notable de l’étendue des ornements qui tendirent à se concentrer autour des notes de la mélodie. Les affetti décrits par Giulio Caccini dans le Nuove Musiche (1602) manifestent clairement ce phénomène (fig. 8). Dans le Syntagma musicum de Michael Praetorius (1619), on trouve les accenti qui consistent à anticiper rapidement une note (fig. 9).

Pourtant, d’une façon générale, l’interprète actuel doit se montrer vigilant car les auteurs anciens ne sont pas toujours d’accord sur la terminologie relative aux ornements. Selon les régions, le même mot désigne parfois des ornements différents. Heureusement, les compositeurs écrivent quelquefois en toutes notes au début de la partition les ornements qui leur sont propres. On profite aussi d’importants traités comme l’Harmonie universelle de Marin Mersenne (1636) qui donne un tableau récapitulatif d’une grande quantité d’ornements.

La systématisation

C’est en France, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, que prit naissance une esthétique ornementale particulière en accord avec le courant de la préciosité. Un système d’ornements appelés désormais agréments (allemand: Manieren ou Verzierungen ; anglais: graces ) se répand rapidement dans tous les pays d’Europe. Les agréments étaient déjà nombreux chez les luthistes de l’école française tels les Gautier, Dufaut ou Mézangeau; ils achevèrent de se développer chez les clavecinistes (Jacques Champion de Chambonnière, Louis Couperin, Jean-Henri d’Anglebert, etc.). À cette époque, il est d’usage de faire précéder les recueils de pièces pour luth ou pour clavecin d’une «table d’ornements» indiquant, selon le goût du compositeur, les réalisations correspondant aux signes employés dans les œuvres.

Les agréments n’ont généralement qu’une courte étendue mélodique; ils s’appliquent à une ou plusieurs notes d’une mélodie; leur forme est fixée, mais l’interprétation en est très variable; elle dépend en particulier de l’habileté et de la sensibilité de l’exécutant. C’est la raison pour laquelle une table d’ornements comme celle qui figure dans le Premier Livre de pièces de clavecin de François Couperin n’est jamais qu’un repère, une suggestion qui ne prétend en aucun cas reproduire exactement l’effet rendu par un ornement donné. Encore une fois, réussir un ornement défie toute explication rationnelle qui se voudrait totalement réductrice; en conséquence, il n’y a qu’une analogie entre le graphisme de la notation et l’exécution dans la réalité sonore. C’est précisément cet aspect fuyant de l’interprétation des ornements qui fait dire au luthiste Jean-Baptiste Besard: «Imitez ceux qui les font bien et n’en abusez pas.» L’apogée de l’ornementation chiffrée correspond à la production musicale de François Couperin (1668-1733), c’est-à-dire au premier tiers du XVIIIe siècle.

Voici les ornements qui apparaissent le plus fréquemment à cette époque:

– Le trille (ou cadence, tremblement; allemand: Triller ; anglais: shake ) est sans doute l’agrément le plus fondamental. Il était d’ailleurs utilisé bien avant le XVIIe siècle, et présente une forte analogie avec certains ornements en usage au XVIe siècle comme le trémolo. Le trille est une répétition de la note écrite en alternance avec la note immédiatement supérieure, l’attaque se faisant toujours sur cette dernière. Il se divise en trois moments: une préparation (l’«appuy» ou appoggiature par la note supérieure), puis la série des battements, enfin, l’anticipation de la note suivante (liaison). Le premier et le dernier moments étant variables, il en résulte une grande variété d’interprétations.

– Le mordant (ou pincé, pincement, martellement, flattement; allemand: Mordant ; anglais: beat , mordent ; italien: mordente ) est une inflexion entre la note écrite et la note inférieure.

– L’accent (allemand: Nachschlag ; anglais: springer ) est une extension de la note écrite sur la note immédiatement supérieure.

– Le port de voix (allemand: Accent und Mordant ; anglais: shaked beat ) est un bref battement se produisant entre la note écrite et la note immédiatement inférieure sur laquelle se fait l’attaque; il est très employé dans la musique de clavecin et dans le chant.

– L’appoggiature (appuy ou chute; allemand: Accent fallend ; anglais: back-fall ; italien: appoggiatura ) est une petite note (inférieure ou supérieure à la note écrite) qui dure généralement la moitié de la note qu’elle précède. Elle est inférieure lorsqu’elle prépare la note écrite par en dessous, supérieure lorsqu’elle la prépare par en dessus. Dans l’exécution, il appartient à l’interprète de lui donner la durée qui lui semble le mieux mettre en valeur la dissonance que produit l’appoggiature dans son rapport avec la note écrite.

– Le coulé (ou tour de gosier; allemand: Schleifer ; anglais: slur ou slide ) s’applique généralement aux tierces ascendantes ou descendantes, et consiste à remplir l’intervalle tout en liant les notes.

– Le doublé (ou tour de gosier; allemand: Doppelschlag ; anglais: turn ou single relish ; italien: groppetto ) est une broderie autour de la note écrite; il commence avec la note supérieure.

– La tierce coulée (allemand: Nachschläge ; anglais: passing appogiaturas ): dans un passage en tierces descendantes de valeurs égales, on remplit les intervalles de notes de passage.

– L’arpègement (ou batterie; allemand: Brechung ; anglais: battery ; italien: arpeggio ). Les notes d’un accord inscrites verticalement sont jouées successivement du grave à l’aigu ou inversement; l’arpège peut aussi être doublé, c’est-à-dire monté et descendu (rabattu).

– Le vibrato (ou plainte, langueur; allemand: Bebung ; anglais: close shake ) est une ondulation du son dont l’emploi est réservé aux instruments à cordes (viole, violon, violoncelle, luth, guitare); on l’obtient en balançant la main gauche tandis que le doigt continue de presser la corde sur la touche; la note jouée s’étend alors vers le coma supérieur selon une fréquence plus ou moins rapide.

Les ornements intégrés à la musique

Si l’on rencontre toujours des ornements dans la musique du XVIIIe siècle, c’est sous une forme différente de celle du XVIIe et qui correspond à la précision et à la rigueur de l’attitude classique. Désormais, toutes les formules qui incarnaient la liberté d’interprétation au siècle précédent ont disparu des partitions à l’exception des petites notes et des trilles.

Mais le phénomène le plus caractéristique de cette évolution réside essentiellement dans l’intégration systématique des formules ornementales à l’écriture musicale: les ornements sont écrits en toutes notes et doivent être exécutés selon les critères normaux de la lecture, c’est-à-dire littéralement, à la fois sur le plan mélodique et sur le plan rythmique. Une telle transformation dépasse largement le cadre d’une mode ou d’un style en révélant un bouleversement dans la mentalité musicale elle-même. Avec l’apparition du style concertant, la musique, qui a quitté les salons pour les salles de concert, devient de plus en plus l’affaire d’interprètes professionnels.

Une dialectique féconde se produit entre la progression de la technique instrumentale et la complexité croissante d’une musique qui s’adresse de plus en plus à des virtuoses. Du même coup, l’écriture devient plus riche, plus précise et par conséquent plus contraignante. Les ornements sont eux aussi plus précis: Mozart les écrit en petites notes à l’intérieur de la portée. Les auteurs romantiques feront de même et Chopin fera figurer au-dessus de la portée des phrases entièrement notées en minuscules.

Ornementation et musique contemporaine

Il est difficile de saisir les lignes de force qui structurent la pensée musicale du XXe siècle, tant la diversité et la richesse des différents courants font écran à une compréhension d’ensemble. Liberté et rigueur dans l’interprétation s’affrontent dans un cas, se complètent dans un autre. En tout état de cause, on est en présence de conceptions musicales entièrement nouvelles et il ne faut pas s’attendre à trouver trace d’une ornementation dans son acception traditionnelle. Pourtant, certaines œuvres modernes comportent des séquences d’un caractère libre qui rappelle l’improvisation. On renoue ainsi avec la tradition ancienne de l’interprétation, tel l’Erwartung d’Arnold Schönberg (1909) qui témoigne un net intérêt pour l’improvisation; les cadences de la mélodie sont laissées à l’initiative du chanteur et l’on peut considérer ce style «cadentiel» comme un héritier en droite ligne de l’ornementation classique. Dès lors, cette tendance générale de la musique vers la source constamment renouvelée de l’invention spontanée ne fera que s’affirmer. Plusieurs compositeurs contemporains laissent une place importante à l’expression des interprètes au moyen de séquences aléatoires. Ces dernières consistent à improviser pendant une période déterminée. L’initiative de ces formules peut être prise soit par les interprètes s’il s’agit de musique de chambre, soit par le chef s’il s’agit de musique d’orchestre. Elles sont généralement dirigées par un motif écrit sur lequel on improvise. Une composition comme Chiffres pour clavecin de Maurice Ohana (1971) allie une grande liberté de forme à une création qui se renouvelle à chaque audition grâce à la présence de séquences aléatoires, ce qui accentue le caractère vivant et imprévisible de l’œuvre et évoque le style des anciennes «colorations».

La liberté accordée aux interprètes, selon des indications précises insérées dans la partition, s’étend naturellement à l’improvisation collective qu’ont pratiquée des musiciens et des auteurs comme Marius Constant ou John Cage ; ici, la liberté s’est emparée de l’ensemble de l’espace musical jusqu’à estomper complètement la notion de composition. Ainsi, l’évolution de la liberté d’interprétation semble indissociable de celle d’ornementation.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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